L’année Darwin est passée et elle fut une bonne raison de s’intéresser au débat qui ne fait que se rallumer : créationnisme versus évolutionnisme. Cependant, il y a une raison plus urgente de le faire : c’est le retour en force des créationnismes, non seulement au niveau mondial, mais chez nous en France et en Belgique en particulier.
Je voudrais ici rappeler quelques faits.
En 1796, Laplace publie « L’exposition du système du monde », ouvrage ayant pour but d’expliquer la naissance du système solaire. Il donne la première hypothèse de la naissance simultanée du Soleil et des planètes à partir d’un même nuage de gaz et de poussières en rotation. Napoléon fit remarquer à Laplace: « Votre travail est excellent mais il n’y a pas trace de Dieu dans votre ouvrage », Laplace lui répondit : « Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse ».
Le mot créationnisme apparaît au 19ème siècle aux Etats-Unis, désignant les mouvements anti-évolutionnistes apparus dans les églises évangélistes nord-américaines. Dans ce sens étroit, « créationnisme » désigne l’affirmation de l’acceptation intégrale du récit biblique de la création (la Genèse).
Après plus d’un siècle de reformulation et développement, le discours créationniste a suivi les évolutions de la science et revêt des formes multiples, des formes les plus fondamentalistes aux plus flexibles, acceptant toute évolution à condition que celle-ci soit guidée par une transcendance. Au début des années 1990, apparaît aux Etats-Unis un nouveau mouvement créationniste : l’Intelligent Design (dessein intelligent). Ce dernier a largement été évoqué dans la presse francophone depuis l’été 2005.
Le créationnisme, revêtu d’un apparat scientifique, ne rejetant pas la théorie de l’évolution mais l’inféodant à une transcendance est la réelle menace contemporaine. Cela, d’autant plus que la communauté scientifique est divisée et que la moindre faille dans la recherche sert aux détracteurs à réduire la validité de la théorie darwinienne. D’autre part, n’est-il pas tentant de combler les vides encore inexpliqués par un petit coup de pouce d’un créateur omniscient ?
La menace créationniste, qui semblait loin de la Belgique et de la France, et plus particulièrement vue comme un phénomène de la société protestante américaine, s’est maintenant précisée.
Ainsi que la presse s’en est faite l’écho, le créationnisme avance sur tous les fronts mais avant tout dans l’enseignement. Il est d’origine chrétienne, juive ou musulmane.
Dans un article du 18/11/08, le journal Le Monde s’interroge : « La France serait-elle partie en guerre contre les créationnistes, dont les idées progressent un peu partout dans le monde?
A l’initiative du ministère de l’éducation nationale, du Collège de France et de la Cité des sciences et de l’industrie, ils étaient en tout cas plusieurs centaines à débattre, les 13 et 14 novembre 2008 à Paris, de la difficulté croissante à enseigner la théorie de l’évolution. Et ce bien au-delà des Etats-Unis, berceau, depuis Darwin, du créationnisme.
L’attaque la plus frontale date du début de l’année 2007. Dans de nombreux pays d’Europe, lycées, collèges et universités reçoivent sans l’avoir demandé un luxueux ouvrage illustré, l’Atlas de la création. Edité et imprimé en Turquie, il prétend démontrer que l’évolution n’est pas une doctrine scientifique mais de la propagande antireligieuse. Son auteur, Harun Yahya -de son vrai nom Adnan Oktar-, dirige une organisation au financement obscur, dont le principal objectif est de promouvoir le Coran.
C’est dans ce contexte que s’est terminée « l’année Darwin » avec bien moins de pompes qu’à son ouverture. La menace reste entière mais les créationnistes peuvent se réjouir de voir cette lutte de la science contre le dogme retourner à l’ombre.
Suggestions de lecture :
Thomas LEPELTIER, Darwin hérétique, Seuil, 2007
Jacques ARNOULD, Dieu versus Darwin, Albin Michel, 2007
Pascal PICQ, Lucy et l’obscurantisme, Odile Jacob, 2007
Michael DENTON, Evolution, une théorie en crise, Flammarion, 1992
Cyrille BAUDOUIN & Olivier BROSSEAU, Les créationnismes, une menace pour la société française ?, Syllepse, 2008
Cédric GRIMOULT, Mon père n’est pas un singe ? Histoire du créationnisme, Ellipses, 2008.