ARTS PREMIERS / MUSÉE DU QUAI BRANLY

Que recouvre ce terme d’ « Arts Premiers » ? Pourquoi le Musée Branly ne semble-t-il pas s’attacher à cette appellation à la mode ?  
La dernière question, vous l’avez compris, semble indiquer mon manque d’enthousiasme pour l’appellation d’origine incontrôlée qu’est « Arts Premiers ». Le terme a vu le jour et s’est développé comme une traînée de poudre dans les années quatre-vingt-dix. Initialement, il était question des Arts Primitifs mais le mot « primitif », lourd d’un passé colonial et paternaliste, a laissé place à la réflexion lexicologique alors que l’anthropologie se lavait de son ethnocentrisme. Jusqu’à l’avènement des « Arts Premiers », les spécialistes désignaient cette matière par « Arts non-européens » (ou extra-européens), alors que les marchands et collectionneurs échangeaient de l’art tribal.
L’une ou l’autre appellation est discutable. Tout contenu générique est par définition amené à être critiqué dès lors qu’il est confronté au cas particulier. Tous les arts tribaux ne sont pas non-européens ; les productions lapones, par exemple, qui sont tribales et européennes. Tous les arts non-européens ne sont pas tribaux pour autant, et j’en appelle à la production artistique contemporaine chinoise pour en témoigner. Sans vouloir pinailler, il faut reconnaître que les « Arts non-européens » sont une désignation commode et intellectuellement satisfaisante.
Faut-il sacrifier la science au marketing ? La mode récente pour les productions artistiques non-européennes, l’art dit tribal, ne pouvait se satisfaire d’un terme aussi peu sexy et lourd que celui scientifiquement admis (les « arts non-européens »). D’autre part, « tribal » avait une connotation éculée dont une nouvelle tendance s’accommoderait assez mal. Il s’agissait donc de dépoussiérer l’appellation, faire table rase de l’ombre des marchands d’art et ainsi avoir un nouveau « produit » à disposition.
D’où vient cet engouement récent pour les productions non-occidentales ? La réponse à cette question est certainement plurielle, fruit d’une étude socio-commerciale plus approfondie. La vitesse de communication accrue depuis les années quatre-vingt, le monde devenu un village pour reprendre l’expression consacrée, sont des éléments qui ont contribué au recul des frontières intellectuelles et culturelles. La recherche d’exotisme n’a cessé de croître, tant dans les arts qu’au niveau de l’artisanat de pacotille.
Si vous consultez le site web du Musée du Quai Branly (http://www.quaibranly.fr), admirable institution au demeurant, vous ne trouverez aucune mention des « Arts Premiers ». Sa définition, telle que la fait apparaître une recherche sur Google, est simplement « Le musée du quai Branly présente des collections d’objets des civilisations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques. »
Il n’est fait aucune allusion tant à l’art qu’à « premier ». D’ailleurs, quelle serait la définition à apporter à l’art ? L’art est-il l’apanage d’une production à vocation purement esthétique ? La conscience de l’art précédait ou présidait-elle la fabrication de tous les objets présents dans les collections ? C’est dire que l’usage du mot « art » en ethnologie est périlleux lui-même. Que les objets soient revêtus de qualités esthétiques évidentes n’en font pas des œuvres d’art pour autant. Et surtout, le concept d’œuvre d’art tend à occulter –alors qu’il serait souhaitable de le souligner- le rôle joué par ces artefacts. C’est l’aspect fonctionnel qui devrait être mis en exergue ; c’est la fonction qui véhicule tout le sens conscient permettant la compréhension de l’objet.
Quant à « premier », que faut-il comprendre ? Et surtout, de « premier » à « primitif » il y a un pas que le Quai Branly semble résolu à ne pas franchir, même en faisant étape à « primordial » !