Les sources cartographiques à la fin du XVIIe siècle

Les périodes anciennes sont documentées, d’un point de vue cartographique, par des compilations dont l’auteur n’était pas voyageur. C’est le cas des mappemondes et atlas de Mercator, Hondius, Ortelius, Blaeuw… et cela perdura encore au XVIIIe siècle, époque pendant laquelle les géographes-compilateurs étaient désignés comme des « cartographes de cabinet ». A ceux-ci s’opposaient les cartographes de terrain, pilotes des mers et navigateurs, qui complétèrent progressivement les tracés des terres, délimitant les contours de territoires qui demeuraient vides en leur centre. Ces vides étaient comblés par des villes imaginaires, des figures allégoriques, des créatures féroces et monstrueuses, des êtres mythiques ou mythologiques(1)…

Pour la période du XVIe et du XVIIe siècle en Ethiopie, les informations disponibles, et produites par un contact réel avec le terrain, sont l’oeuvre des Portugais. Ceux-ci, très actifs dans la recherche de nouvelles routes maritimes vers les sources d’épices, furent les premiers à doubler le Cap de Bonne-Espérance (Bartolomeu Dias, 1500) en ouvrant la Route maritime des Indes qui contournait l’Afrique (Vasco da Gama, 1498 ; puis Cabral). Rapidement, les Portugais entreprirent de découvrir, au départ des Indes, le Royaume du Prêtre-Jean (d’Albuquerque, 1506 ; Cristovao da Gama, 1541-1543), ce qui fut l’essor des premières informations cartographiques occidentales sur l’Afrique de l’est.

Ces sources se présentent sous la forme de cartes marines, aussi appelées portulans(2). Ces documents renseignent essentiellement les hauts-fonds et les ports, ainsi que le profil des littoraux.

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Portulan de Mecia de Viladestes (1413)

Cette carte marine, du monde occidental connu au début du XVe siècle, couvre une zone s’étendant de l’Océan Atlantique à une partie de la Mer Caspienne et du Golfe Persique, de la Mer Baltique à la Mer Noire et la Mer Rouge. La Mer Méditerranée est placée au centre et l’Ethiopie en bas, à droite.
Le portulan de Joao de Castro (1540-1541) en particulier mérite d’être mentionné pour représenter les littoraux (dont celui de la mer Rouge) en élévation plutôt qu’en plan ; c’est le codex n° 33 conservé à la Bibliothèque générale de l’Université de Coimbra(3). L’ensemble de la cartographie marine portugaise est publié dans le Portugaliae Monumenta Cartographica de Cortesao et Teixeira da Mota (1960-1961). Le diplomate, géographe et orientaliste français Albert Kammerer a consacré une part importante de ses recherches à l’histoire ancienne de la Mer Rouge ; le troisième tome de La Mer Rouge l’Abyssinie et l’Arabie depuis l’Antiquité est consacré à la cartographie des portulans(4). Ce sont certainement les principales sources pour aborder la cartographie de la Mer rouge au XVIe siècle.

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Vue de Suakin (Edition facsimilé INAPA, Lisbonne, 1988)

En marge des portulans, limités aux zones côtières par définition, la carte dessinée par le missionnaire jésuite Manoel de Almeida, et à laquelle nous avons fait précédemment allusion, constitue une étape cruciale de la connaissance géographique de l’Ethiopie. Surtout, cette carte est, contrairement aux ouvrages de compilation certes de qualité comme la carte de Ludolf, le produit d’une connaissance physique et réelle du pays par la présence de son auteur sur place. La carte s’intéresse peu à la nature du terrain et aux fleuves, mais apporte des informations sur les entités politiques. Ce document demeura pendant longtemps la principale source du découpagee interne de l’Ethiopie.

 

Le contour de l’Afrique fut assez rapidement appréhendé par les cartographes qui le rendirent tôt avec une précision notable, et croissante ensuite. L’aventure du dessin de la carte, en Afrique, plus que la découverte du continent dans son étendue, fut celle du remplissage qui ne s’acheva qu’au XXe siècle. Au cours des siècles, l’Afrique fut traitée comme une île. L’Ethiopie, au sens « Abyssinie » des anciennes cartes, compta parmi les premiers teritoires repérés et aussi parmi les derniers à perdre ses zones blanches. La juxtaposition de la mappa mundi de Martin Waldseemüller (1507), ou même encore celle de Sebastian Münster (1544), à celle d’Abraham Ortelius (publiée dans son atlas Theatrum Orbis Terrarum, différentes éditions à partir de 1570) est éloquente à ce sujet : autant le contour du continent a considérablement évolué pour s’approcher de la réalité géographique, autant l’intérieur de l’Afrique demeure une toile de suppositions. Les cartes d’Almeida et de Ludolf concoururent grandement à étoffer le paysage de l’hinterland.

 

 

Martin Waldseemüller, Universalis cosmographia secundum Ptholomæi traditionem et Americi Vespucii aliorv. que lustrationes. Facsimile. Cornell University Library Map Collection (haut gauche – Cornell University Library Map Collection)

Sebastian Münster, Totius Africæ tabula, & descriptio uniuersalis, etiam ultra Ptolemæi limites extensa, extrait de la Cosmographia uniuersalis, Basel, 1554 (bas gauche – Princeton University, Historic Maps Collection)

Abraham Ortelius, Africae tabula noua, extraite du  Theatrum orbis terrarum, Antwerp, édition de 1584 (droite – Princeton University, Historic Maps Collection)

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NOTES :

(1) HOFMAN Catherine (Dir.), Artistes de la carte. De la Renaissance au XXIe siècle, Paris, Autrement, 2012.
(2) MOLLAT du JOURDIN Michal & de LA RONCIERE Monique, LEs portulans. Cartes marines du XIIIe au XVIIe siècle, Fribourg, Office du Livre, 1984 ; HOFMAN Catherine, RICHARD Hélène & VAGNON Emmanuelle, L’âge d’or des cartes marines. Quand l’Europe découvrait le monde, Paris, Seuil/BNF, 2012.
(3) Edition facsimilé du portulan de Joao de Castro (Lisbonne, 1988) : Tabuas dos Roteiros da India de D. Joao de Castro.
(4) KAMMERER Albert, La Mer Rouge. L’Abyssinie et l’Arabie depuis l’Antiquité, tome III L’Abyssinie et l’Arabie aux XVIe et XVIIe siècles et la cartographie des portulans du monde oriental, Le Caire, 1929.