La photo comme source en histoire: méthodologie
Les documents photographiques, pour aider l’historien dans sa recherche, doivent être entourés de précautions. Avant tout, il s’agit de rassembler autant d’informations que possible au sujet du document: informations intrinsèques et extrinsèques. Identification du photographes, les circonstances et le contexte de la prise de vue, le but et la finalité de la photographie… mais aussi la technique utilisée sur place ou pour le tirage et la reproduction, la taille du document originel, etc.
En marge des données liées à la photo elle-même -les métadonnées-, des principes généraux doivent être respectés dans l’usage qui est fait de ces documents. En particulier, afin de réduire la subjectivité du cadrage et de l’instant fixé, il est utile de combiner plusieurs vues du même sujet. Cela en permet une meilleure vision, mais aussi la création d’une séquence chronologique. Celle-ci peut être courte dans le cas d’une manifestation particulière ou longue dans le cas, par exemple, de la documentation de l’histoire d’une ville ou d’un habitat.
Une photographie publiée par Wolbert Smidt (Photos as Historical Witnesses, LIT, 2015, p. 93 au centre de la page) est datée de 1930 et est identifiée comme une vue du couronnement de Haile Sellase. Un rapide regard fait cependant se poser deux questions: il est seul alors qu’habituellement il est accompagné de sa consort sur les photos du couronnement impérial, en particulier lors des moments solennels ; et qui est ce personnage assis sur un pied d’égalité flanquant le souverain ? Ces deux éléments sont propres à faire douter de l’identification de l’événement.
Un examen plus attentif laisse noter que la couronne est différente de celle du couronnement impérial (photo de droite et du bas sur la même page). L’auteur ne nous fournit aucune indication quant à la source ; et d’ailleurs en dispose-t-il ?
La couronne, puisqu’elle est différente de la couronne impériale, correspond à une époque où le ras Täfäri n’était pas encore devenu Haile Sellase Ier (nom porté après son couronnement impérial en 1930). Il s’agit en effet de sa couronne de ras (duc princier), telle qu’elle figure sur le timbre (série de 1928 commémorant l’inauguration du nouvel hôtel des postes) le représentant comme ras ǝndärase (prince-régent) et donc avant le couronnement royal de 1928 comme negus.

Timbre à l’effigie de Täfäri, série de 1928, version avec surcharge
L’éclairage vient d’une photo de presse allemande, datée de 1927, et dont la légende inscrite au dos précise qu’il s’agit de la visite du prince de Abruzzes. Le même événement que celui de la photo publiée par Wolbert Smidt, mais sous un angle légèrement différent. Dans un même temps, la légende d’une photo en éclaire une autre.

« Fürsten-visite in Abessinien. Besuch des Herzogs von Abruzzen bei dem Fürsten von abessinien. Der hohe Gast wurde mit grossen Feierelichkeiten von dem König von Abessinien empfangen. Parade-Abnahme des Abessinischen Heeres PRESSE-PHOTO Gmbh, Berlin ».
En juillet 1927, eut lieu à Addis Abäba une rencontre extrêmement sensible et de première importance : la visite de Luigi Amedeo di Savoia-Aosta, duc des Abruzzes et (cousin d’Amedeo di Savoia-Aosta, duc d’Aoste et futur vice-roi de l’Africa Orientale Italiana), envoyé officiel du gouvernement italien, accompagné de Jacopo Gasparini, le gouverneur de la Colonia eritrea. À cette occasion, le ras Täfäri soigna particulièrement son image comme les photographies de presse en témoignent ; l’enjeu était à la fois diplomatique (affirmer la souveraineté de l’Éthiopie face à son envahisseur d’hier) et intérieur (visite très controversée au sein du parti conservateur éthiopien). Cette visite déboucha sur la signature de l’accord de coopération italo-éthiopien de 1928.