Addis Ababa, Ethiopia & the Horn of Africa in Ancient Photography & Maps ⎢ Addis-Abeba, l'Éthiopie & la Corne de l'Afrique dans la photo et les cartes anciennes

Catégorie : Méthodology

Usage de l’image satellite en histoire

L’emploi d’images prises par satellites est désormais largement répandu dans les sciences. Les sciences humaines et sociales ne font pas exception, pour autant ce type d’imagerie recouvre le plus souvent une fonction avant tout pédagogique.

Contrairement à la géographie —science des espace des hommes—, l’histoire, discipline longtemps déconnectée du monde visuel, se limite à produire ces images en appui à un discours. Les images par satellite servent à illustrer un exposé ou les conclusions d’une démonstration. C’est passer à côté d’une part de la potentialité de ce type de documents que se limiter à un usage pédagogique, alors que cette imagerie offre des renseignements —et surtout une vision— difficilement accessibles autrement. Les images par satellite doivent compter parmi les sources.

La contemporanéité de l’image, par rapport à un discours épistémologique qui se construit sur l’épaisseur chronologique, peut déconcerter de prime abord. Et c’est sans doute la cause de son faible usage en histoire qui privilégie la dimension temporelle. Néanmoins, l’histoire ne s’arrête pas sur le seul temps long et l’observation des images produites par satellite permet d’identifier et d’observer le jeu des permanences et des ruptures, de deviner des intentions ou des conséquences. L’imagerie par satellite ne montre pas que l’espace ou la marque des sociétés humaines sur l’espace ; celles-ci n’étant que l’expression de politiques, de mentalités ou de représentations qui évoluent  —ou se figent— dans le temps.

En France, le CNES (Centre National d’Etude spatiale), en collaboration avec le ministère de l’Education nationale et de la Jeunesse, a développé le site Géoimage dont la vocation pédagogique est primordiale. Des images de qualité, accompagnées de dossiers d’analyse, couvrent progressivement les continents et la Corne de l’Afrique est documentée par deux dossiers : Djibouti et Addis Abäba.

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The use of photography as primary source for the writing of urban History

ADD Tour horloge construction 1

While fiercely struggling for its independence during the second half of the 19th century, Ethiopia extended considerably its territory. A region of meadows and mountains, at the southern march, became the centre of the country in its new borders. There, in 1886, what was first founded as a garrison camp for its strategic position became Addis Abäba, soon the new capital at the crossroads of the world.

This communication aims to highlight the part played by the national sovereignty and its recognition in the particular process of the Ethiopian capital foundation and its perpetuation, as well as its development during the 20th century. The main growing phases of Addis Abäba might only be understood in terms of its international context whilst Ethiopian sovereignty and independence were jeopardized. During those particular times, the rulers used Addis Abäba as a stage for its performance, expanding the city and provided it with architectural and monumental heritage.

For this, they drew in the country’s long-time history, in the strong commitment to the Ethiopian Christianity – the Täwahǝdo – and into the Kǝbrä Nägäst the national myth. The successive systems and reigns until the 21st century have adopted the same urban and building response.

http://www.ices20-mu.org/displayAbstracts.php?abstract_0516-06

ADD - Club français

 

This paper was communicated during ICES20, October 2018, Mäqällä University, Ethiopia (http://ices20-mu.org/index.html)

 

 

La photo comme source en histoire

La photo comme source en histoire: méthodologie

 

Les documents photographiques, pour aider l’historien dans sa recherche, doivent être entourés de précautions. Avant tout, il s’agit de rassembler autant d’informations que possible au sujet du document: informations intrinsèques et extrinsèques. Identification du photographes, les circonstances et le contexte de la prise de vue, le but et la finalité de la photographie… mais aussi la technique utilisée sur place ou pour le tirage et la reproduction, la taille du document originel, etc.

En marge des données liées à la photo elle-même -les métadonnées-, des principes généraux doivent être respectés dans l’usage qui est fait de ces documents. En particulier, afin de réduire la subjectivité du cadrage et de l’instant fixé, il est utile de combiner plusieurs vues du même sujet. Cela en permet une meilleure vision, mais aussi la création d’une séquence chronologique. Celle-ci peut être courte dans le cas d’une manifestation particulière ou longue dans le cas, par exemple, de la documentation de l’histoire d’une ville ou d’un habitat.

Une photographie publiée par Wolbert Smidt (Photos as Historical Witnesses, LIT, 2015, p. 93 au centre de la page) est datée de 1930 et est identifiée comme une vue du couronnement de Haile Sellase. Un rapide regard fait cependant se poser deux questions: il est seul alors qu’habituellement il est accompagné de sa consort sur les photos du couronnement impérial, en particulier lors des moments solennels ; et qui est ce personnage assis sur un pied d’égalité flanquant le souverain ? Ces deux éléments sont propres à faire douter de l’identification de l’événement.

Un examen plus attentif laisse noter que la couronne est différente de celle du couronnement impérial (photo de droite et du bas sur la même page). L’auteur ne nous fournit aucune indication quant à la source ; et d’ailleurs en dispose-t-il ?

La couronne, puisqu’elle est différente de la couronne impériale, correspond à une époque où le ras Täfäri n’était pas encore devenu Haile Sellase Ier (nom porté après son couronnement impérial en 1930). Il s’agit en effet de sa couronne de ras (duc princier), telle qu’elle figure sur le timbre (série de 1928 commémorant l’inauguration du nouvel hôtel des postes) le représentant comme ras ǝndärase (prince-régent) et donc avant le couronnement royal de 1928 comme negus.

 

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Timbre à l’effigie de Täfäri, série de 1928, version avec surcharge

 

L’éclairage vient d’une photo de presse allemande, datée de 1927, et dont la légende inscrite au dos précise qu’il s’agit de la visite du prince de Abruzzes. Le même événement que celui de la photo publiée par Wolbert Smidt, mais sous un angle légèrement différent. Dans un même temps, la légende d’une photo en éclaire une autre.

 

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« Fürsten-visite in Abessinien. Besuch des Herzogs von Abruzzen bei dem Fürsten von abessinien. Der hohe Gast wurde mit grossen Feierelichkeiten von dem König von Abessinien empfangen. Parade-Abnahme des Abessinischen Heeres PRESSE-PHOTO Gmbh, Berlin ».

 

En juillet 1927, eut lieu à Addis Abäba une rencontre extrêmement sensible et de première importance : la visite de Luigi Amedeo di Savoia-Aosta, duc des Abruzzes et (cousin d’Amedeo di Savoia-Aosta, duc d’Aoste et futur vice-roi de l’Africa Orientale Italiana), envoyé officiel du gouvernement italien, accompagné de Jacopo Gasparini, le gouverneur de la Colonia eritrea. À cette occasion, le ras Täfäri soigna particulièrement son image comme les photographies de presse en témoignent ; l’enjeu était à la fois diplomatique (affirmer la souveraineté de l’Éthiopie face à son envahisseur d’hier) et intérieur (visite très controversée au sein du parti conservateur éthiopien). Cette visite déboucha sur la signature de l’accord de coopération italo-éthiopien de 1928.

 

La photographie au service de l’histoire urbaine : Addis Abäba

L’histoire ancienne de la capitale éthiopienne peut difficilement être écrite sur la base d’archives conventionnelles. Les archives endogènes sont inexistantes ou détruites et les archives étrangères -diplomatiques essentiellement- muettes sur la question.

Les archives ne sont heureusement pas les seules sources disponibles pour écrire l’histoire et le rôle de la photographie, ainsi que d’autres types de sources, est à cet égard de plus en plus reconnu et important. Dans le cas des premières décennies de la construction d’Addis Abäba, les photographies sont particulièrement salutaires.

L’établissement d’un corpus peut poser quelques problèmes méthodologiques, en particulier parce que les informations sur les photos, les métadonnées, font défaut. La plupart du temps, nous ignorons l’identité des photographes, la nature du support originel et la finalité des clichés, tout comme la date. Le corpus prend donc de la valeur par une grande accumulation des items permettant des recoupements. Ces recoupements permettent ensuite d’ensuite d’établir une séquence chronologique, substance fondamentale de la réflexion historique.

L’exemple de l’addaraš du gǝbbi [1]

Le gǝbbi, palais du souverain, était au centre du système administratif et politique impérial éthiopien (GARRETSON 2000, 27). Son développement fut un long processus, d’autant qu’il n’y avait aucune conscience de pérennité du site au départ. Les premières constructions furent détruites par l’incendie de 1892 (Chronique, 319ss), mais immédiatement reconstruites et achevées en 1894 avec, réalisation inédite en Éthiopie, l’eau courante selon un système mis au point par l’ingénieur Alfred Ilg, conseiller du souverain (KELLER 1918, 41 ; Chronique, 341). Son positionnement fut déterminant pour la topographie urbaine et l’arrivée plus massive et permanente des aristocrates provinciaux, dans l’environnement du siège du pouvoir impérial après 1896, ne fit que renforcer le rôle urbanistique de la colline du gǝbbi.

En 1897-1898, dans l’immédiat après-Adwa, de nouvelles constructions sont ajoutées au domaine impérial, en particulier une église privée, que l’on peut qualifier de chapelle impériale, et un gigantesque hall de banquet, l’addaraš. Ce hall de banquet, le nouvel addaraš, constitue certainement l’édifice de prestige le plus marquant, par son rôle et surtout par sa taille. Le bâtiment, à trois nefs et dont la silhouette caractéristique est souvent visible sur les clichés anciens, comme un marqueur topographique d’Addis Abäba, pouvait accueillir les banquets offerts par l’empereur à plusieurs milliers de personnes. Ces banquets portaient un rôle social capital et pouvaient être conduits pendant plusieurs jours consécutifs (DERAT 2001).

De par sa visibilité, ce hall de banquet revêt une importance particulière pour la datation des anciennes vues d’Addis Abäba et il convient donc de le placer le plus précisément possible dans la séquence chronologique.

Nous savons que l’addaraš était en construction lors du séjour de Charles Michel et de la mission Bonchamps à Addis Abäba (1897-1898), comme en témoigne l’album de photographies de la mission (photo 79), conservé à la Bibliothèque nationale de France[2]. Néanmoins, une autre photographie de ce même album montre le gǝbbi sans la moindre trace de l’addaraš (photo 51). Il est donc possible de conclure que la construction était en cours lors du retour de Charles Michel à Addis Abäba (avril-mai 1898), alors que la première photographie (sans l’addaraš) avait été prise en 1897, lors du premier séjour de la mission. La photographie par Charles Michel de l’addaraš en construction  (album de la mission de Bonchamps en 1897, Djibouti et Éthiopie, photo 79, coll. BNF et SG) est aussi reproduite en gravure et accompagne l’article de Charles Michel « À la cour d’Éthiopie », paru dans L’Illustration du 1er avril 1899.

Gäbrä Sǝllase, dans la Chronique du règne de Ménélik II, affirme que « en 1890 [AM – donc 1897/98 AD] , année de Marc, Atié Ménélik fit venir d’Europe des ingénieurs et des ouvriers pour la construction d’un addérash à triple toiture brisée, mais dont l’intérieur ne formait qu’une seule salle » (Chronique, 466). Alfred Ilg et Léon Chefneux furent les seuls Européens à y travailler et les artisans spécialisés étaient d’origine indienne.

Il est donc établi que l’addaraš était construit en 1898 et les vues d’Addis Abäba sur lesquelles on peut apercevoir sa silhouette massive dans l’espace du gǝbbi sont à dater de 1898 ou après.

Le capitaine britannique Montagu Sinclair Wellby du 18ème régiment des Hussards, reçu par Menelik le 26 octobre 1899, apporte un élément supplémentaire quand il rapporte que lors de son entrée dans l’enceinte, il nota qu’un grand bâtiment, de forme semblant carrée, était alors en cours de construction (WELLBY 1901, 69). Il s’agit sans aucun doute du même bâtiment, l’addaraš, et ce que pouvait entendre l’auteur par « was in process of construction » désignait sans doute les échafaudages destinés aux enduits et peintures de finition, ou de réparation. Une photographie contenue dans le fond Ilg (VMZ 346_03_001), attribuée à Wellby, montre la façade de l’addaraš en pierres nues, sans enduit ni peinture[3]. Il s’agit d’une vue de l’avant du hall des banquets (dont l’accès se fait par une porte centrale). Cependant, nous savons que le hall de banquet était bien achevé et fonctionnel déjà lors de la visite d’Herbert Vivian, en janvier 1900, « where 2,000 warriors eat raw meat together »[4]. On peut donc en conclure que les enduits furent réalisés au cours de l’hiver 1899/1900, après la saison des pluies.

 

 

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L’addaraš peu de temps après son achèvement ; façade avant avec accès par une porte centrale (noter la hauteur des eucalyptus). (VIVIAN 1901, 195)

D’autres vues du hall existent, montrant la façade arrière (reconnaissable par une porte d’accès latérale) comme, par exemple, celle contenue dans les scrapbooks réalisés par Skinner (ici) lors de sa mission auprès de Menelik en 1903 (blog Hugues Fontaine).

 

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Vue depuis Arada en direction du gǝbbi en 1901 ; on distingue nettement les trois nefs de la toiture de l’addaraš  (POWELL-COTTON 1902, 98)

 

Notes & bibliographie

[1] Pour plus de détails et au sujet des développements futur de l’addaraš, voir DEWEL Serge (2017), ADDIS ABÄBA (Éthiopie) 1886-1966. Construction d’une nouvelle capitale pour une ancienne nation souveraine, Thèse de Doctorat, Paris, INALCO.

[2] Bibliothèque nationale de France, département Société de Géographie, SGE SG WE-501, planche 35, photos 79 et 80.

[3] Je remercie Hugues Fontaine de m’avoir communiqué cette information.

[4] VIVIAN 1901, légende de la photo face à la p. 195 (reproduite ci-dessus).

[5] GERVAIS 2015, 37-52 ; l’agence Chusseau-Flavien était installée rue Bayen à Paris, dans le 17ème ; l’Illustration était un magazine hebdomadaire français créé sur le modèle du Illustrated London News, par le célèbre éditeur de presse Édouard Charton. De 1843 à 1944, il fut toujours abondamment illustré, d’abord de gravures, puis de photogravures et enfin de photographies.

 

DERAT Marie-Laure (2001), « Le banquet à la cour du roi d’Éthiopie au XVe siècle. Dons forcés et contreparties », in Hypothèses 2001, pp.267-274.

GARRESTON Peter P. (2000), A History of Addis Abäba from its foundation in 1886 to 1910, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag.

Guébré Sellassié (1930-1932), Chronique du règne de Ménélik II roi des rois d’Éthiopie, Paris, Maisonneuve (traduite par Tèsfa Sellassié ; publiée et annotée par Maurice de Coppet).

KELLER Conrad (1918), Alfred Ilg, Frauenfeld, Huber & Co.

POWELL-COTTON PH.G. (1902), Sporting trip through Abyssinia. A Narrative of a Nine Months’ Journey (…), London, Rowland Ward.

VIVIAN Herbert M.A. (1901), Abyssinia. Through the Lion-Land to the Court of the Lion of Judah, London, Arthur Pearson.

WELLBY M. S. (1901), ’Twixt Sirdar & Menelik. An Account of a Year’s Expedition from Zeila to Cairo through Unknown Abyssinia, London & New  York, Harper & Brothers.

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