Addis Ababa, Ethiopia & the Horn of Africa in Ancient Photography & Maps ⎢ Addis-Abeba, l'Éthiopie & la Corne de l'Afrique dans la photo et les cartes anciennes

Étiquette : Ethiopie

Nouvelle parution

ETHIOPIE, UNE HISTOIRE. Vingt siècles de construction nationale

Usage de l’image satellite en histoire

L’emploi d’images prises par satellites est désormais largement répandu dans les sciences. Les sciences humaines et sociales ne font pas exception, pour autant ce type d’imagerie recouvre le plus souvent une fonction avant tout pédagogique.

Contrairement à la géographie —science des espace des hommes—, l’histoire, discipline longtemps déconnectée du monde visuel, se limite à produire ces images en appui à un discours. Les images par satellite servent à illustrer un exposé ou les conclusions d’une démonstration. C’est passer à côté d’une part de la potentialité de ce type de documents que se limiter à un usage pédagogique, alors que cette imagerie offre des renseignements —et surtout une vision— difficilement accessibles autrement. Les images par satellite doivent compter parmi les sources.

La contemporanéité de l’image, par rapport à un discours épistémologique qui se construit sur l’épaisseur chronologique, peut déconcerter de prime abord. Et c’est sans doute la cause de son faible usage en histoire qui privilégie la dimension temporelle. Néanmoins, l’histoire ne s’arrête pas sur le seul temps long et l’observation des images produites par satellite permet d’identifier et d’observer le jeu des permanences et des ruptures, de deviner des intentions ou des conséquences. L’imagerie par satellite ne montre pas que l’espace ou la marque des sociétés humaines sur l’espace ; celles-ci n’étant que l’expression de politiques, de mentalités ou de représentations qui évoluent  —ou se figent— dans le temps.

En France, le CNES (Centre National d’Etude spatiale), en collaboration avec le ministère de l’Education nationale et de la Jeunesse, a développé le site Géoimage dont la vocation pédagogique est primordiale. Des images de qualité, accompagnées de dossiers d’analyse, couvrent progressivement les continents et la Corne de l’Afrique est documentée par deux dossiers : Djibouti et Addis Abäba.

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Le royaume du Prêtre-Jean dévoilé (1)

Genèse de la cartographie de l’Éthiopie


La connaissance géographique européenne de l’Éthiopie et sa cartographie connurent deux phases d’intense activité : la présence portugaise et jésuite au XVIe siècle et la multiplication des voyages occidentaux  dans le courant du XIXe siècle. Cette seconde phase est la plus importante, tant par l’évolution technique, par une approche plus scientifique et par le nombre croissant de voyageurs.

La première somme encyclopédique consacrée à l’Éthiopie fut l’Historia Aethiopica sive brevis & succincta descriptio Regni Habessinorum, quod vulgò malè Presbyteri Iohannis vocatur[…] de Job Ludolf (1681); son ouvrage était accompagné d’une carte. Outre les renseignements et témoignages de son informateur Abba Gorgorios au collège San Stefano dei Mori à Rome, Ludolf s’est aussi appuyé sur l’ensemble des données connues et publiées à l’époque. De par la qualité de cette synthèse, l’oeuvre de Ludolf peut être inscrite comme le début des études éthiopiennes, la fondation sur laquelle les connaissances ultérieures se superposeront.

À la même époque, Olfert Dapper publiait sa Description de l’Afrique […] en 1668 (première édition française en 1686, disponible sur la plateforme de ressources numériques Gallica du site de la BNF). Cette oeuvre apparaît comme une synthèse de grande qualité, abordant l’Afrique sans parti-pris ethnocentriste marqué et reconnaissant une valeur artistique aux artefacts sculptés. Ainsi, à l’image de Ludolf pour l’Éthiopie, Dapper apparaît comme un père fondateur des études africaines en Occident. Dapper aborde l’histoire de l’Éthiopie, « l’empire des Abyssins », dans la dernière partie de son ouvrage, consacrée à la « Basse-Ethiopie ». La partie subsaharienne de l’Afrique est, dans son ouvrage et conformément à la connaissance européenne de l’époque, subdivisée en trois parties que sont « les pays des nègres » (Afrique occidentale, de la Guinée au Cameroun), la « Basse-Ethiopie » (Congo et Afrique australe) et la « Haute-Ethiopie » (Nubie et Éthiopie).




Les sources du savoir géographique


Les principales données géographiques dont disposaient ces hommes étaient reproduites sur la carte réalisée par le Vénitien Fra Mauro(1), dans les années 1457-1459. Elle rassemble ce qui comptait certainement comme les premières données cartographiques précises concernant l’Éthiopie. Remplissant les blancs laissés entre les Mont Lune et ce qui apparaît comme le Nil bleu sur celle des vingt-sept cartes de la Géographie de Claude Ptolémée (2), vers 125 AD, couvrant la région (la table XV), la carte de Fra Mauro constituait une synthèse des savoirs géographiques circulant dans le monde occidental. Deux décennies plus tard, la Cosmographie de Ptolémée, qui n’était plus qu’indirectement connue en Occident, refit surface en Europe occidentale et devint l’objet de reproductions dans divers manuscrits de cour(3).

Le cartouche de la carte de Ludolf précise qu’elle est fondée sur celle publiée par Balthazar Tellez dans son Historia Geral da Ethiopia a Alta, ou Preste Ioam […], 1660. En fait, le Père Tellez (ou Teles) s’était largement inspiré du mémoire rédigé par le Padre Manoel d’Almeida(4), jésuite lui aussi (séjour en Éthiopie de 1624 à 1633), et en avait reproduit la carte. Cette carte est incluse dans son manuscrit, conservé à la SOAS à London (ms. 11966). Si le manuscrit d’Almeida est une version expurgée des passages polémiques des notes de Paez (1622), la carte nous semble, en revanche, être l’oeuvre d’Almeida(5).

Le célèbre cartographe français Nicolas Sanson, en 1655, édita la carte de la « Haute Éthiopie où sont l’Empire des Abyssins et la Nubie ». Le territoire des « Abissins », vers le sud, confine avec le « lac Zaïre », au pied des « Monts de la Lune ». Ces derniers apparaissent comme la source du Nil, reproduisant en cela une ancienne tradition cartographique. Comme il le précise dans le cartouche, les travaux « de Sanut, de Mercator & C. » constituent ses sources cartographiques. De façon similaire, Nicolas Sanson avait déjà réalisé une carte de « la Partie de la Haute AEthiopie ou sont les Empires des Abissins (…) », en 1646 (voir Gallica). Cette distorsion de l’Éthiopie (au sens actuel du pays) est habituelle sur les cartes du XVIIe siècle, hollandaises d’abord et autres ensuite.

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Nicolas Sanson (1655)

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Nicolas Sanson (1646)

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Bonne (1780) – Carte indiquant la zone occupée par l’Ethiopie et, en marge de celle-ci, « l’Abissinie »

À cette époque toujours, « Afrique » désignait l’ancienne province romaine, et était donc limitée au rivage méditerranéen. Les cartes distingaient l’Éthiopie (l’Afrique subsaharienne selon la tradition grecque antique) de l’Abyssinie (au sud de la Nubie et correspondant à l’Éthiopie actuelle), laquelle était désignée par diverses appellations : Abyss (Ptolémée, v. 150 AD), Abissia (Fra Mauro, v. 1457-1459), Regnum Habesh (Waldseemüller, 1516), Abissinorum sive Presbiteri Ionnis Imperium (Blaeu, 1640 ; comme déjà Ortelius en 1570 ou Pigafetta en 1597), Empire des Abissins (Nicolas Sanson, 1655)… ou finalement Abissinia (Coronelli, 1688). Cependant, Ludolf, qui intitule son ouvrage « Histoire d’Éthiopie », titre sa carte « Abyssinie, ou Royaume du Prêtre-Jean ». Fût-il le premier à rapprocher les deux noms, Éthiopie et Abyssinie, qu’il aurait amorcé une confusion topographique de quatre siècles par le titre de son ouvrage : Nouvelle Histoire d’Abissinie ou d’Éthiopie[…] (édition française, 1681).

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Job Ludolf (1681, réédition de 1683)


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Notes:

(1) FALCHETTA Piero, Fra Mauro’s World Map, Brepols, Terrarum Orbis 5, 2006.
(2) GAUTIER d’ALCHE Patrick, La Géographie de Ptolémée en Occident (IVe-XVIe siècle), Brepols, Terrarum Orbis 9, 2009.
(3) AUJAC Germaine, La géographie de Ptolémée, BNF Anthèse, 1998.
(4) BECKINGHAM C.F. & HUNTINGFORD G.W.B. (Ed.), Some Records of Ethiopia 1593-1646. Being Extracts from « The History of High Ethiopia or Abassia » by Manoel de Almeida, London, 1954.
(5) Les carnets du père Pero Paez ont été édité et traduits en anglais, dans leur version initiale non-expurgée ; la carte d’Almeida y est reproduite (vol. I, p. 66). BOAVIDA Isabel, PENNEC Hervé & RAMOS Manuel Joao (Ed.), Pedro Paez’s History of Ethiopia, 1622, 2 vols, London, The Hakluyt Society, 2011.

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